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 XAVIER DIATTA

XAVIER DIATTA

Politique,Social, Economique


LES BONNES FEUILLES DE FIJU DI TERRRA: LE PREMIER PROCES DES INDEPENDENTISTES

Publié par Xavier DIATTA sur 9 Avril 2017, 09:00am

Abbe Augustin Diamacoune Senghor

Abbe Augustin Diamacoune Senghor

Il s’ouvrit donc le 05 Décembre Sous la présidence d’Aly Ciré BA président de la Chambre d’accusation, assisté du Lieutenant-colonel Mamadou Diop et d’El hadji Badara Ly dit Mbaye, tous deux assesseurs. La Cour de Sûreté de l’Etat devait statuer sur le sort de vingt-cinq détenus. L’accusateur fut l’honorable député socialiste Abdoulaye Niang, Président de la commission Législation de l’Assemblée Nationale, Commissaire du Gouvernement.  

Le quotidien Le Soleil dans sa livraison du 6 Décembre 1983 cita le Président de la cour en ces termes : « Les faits dans ces événements baptisés « événements de Ziguinchor se résument ainsi: dans le courant de l’année 1982, un mouvement insurrectionnel visant à détacher la Casamance du Sénégal a vu le jour sous le sigle MFDC (Mouvement des Forces démocratiques de la Casamance). Les activités du MFDC, a rapporté le Président Aly Ciré BA, se menaient sous le couvert du Casa Sport et autres associations non déclarées. Au niveau de Ziguinchor, les sécessionnistes ont d’abord procédé au noyautage des supporters du Casa Sport et avant de récupérer l’association, ils se réunissaient dans la forêt sacrée de Diabir, localité située à 2 Km de Ziguinchor, lieux propres aux serments qui ainsi ne pouvaient être facilement rompus. Lors d’une réunion en ces lieux le 19 décembre 1982, les membres locaux du mouvement ont vu grossir leurs rangs par des militants venus de France. Et ce jour-là il a été annoncé à Diabir même que le 26 décembre 1982, un défilé aurait lieu à Ziguinchor, et dans d’autres villes du Sénégal avant que la Casamance ne soit déclarée indépendante et souveraine. La nouvelle ayant été apprise par les autorités, des membres du MFDC furent arrêtés avant le jour J »

Le journal produisit la liste de supposés leaders du mouvement:

« Augustin Diamacoune Senghor Prêtre, curé de Kafountine, Ibrahima Diémé dit Amath Professeur, Famara Djiba, Planton ; Sidy Niassy Ronéotype ; Youssouf Diedhiou, Chauffeur ; Bassirou Badji, Peintre Bâtiment ; Mamadou Diémé N°1, laborantin ; Mamadou Sané dit Nkrumah, agent de service France Maison Alfort ; Elias Diémé, employé de Commerce ; Edouard Sagna, Mineur ; Moustapha Camara, Technicien de laboratoire ; Ibrahima Badji dit Ibou, Dactylographe ; Abdoulaye Coly, Soudeur ; Mamadou Sadio, Documentaliste à Paris. »

Dans d’autres circonstances, on aurait éclaté de rire, tant le mensonge d’Etat était grossier et décrivait parfaitement l’amateurisme avec lequel, l’enquête avait été menée en Casamance. Certains se demandaient si véritablement il y avait eu enquête car plus qu’une hérésie, l’accusation qui venait d’être lue, relevait plus de l’enfantillage plutôt qu’un dossier instruit par des magistrats dont l’expertise était connue jusqu’au-delà des frontières nationales. Comment pouvait-on concevoir qu’il existât un bois sacré à Diabir d’où des casamançais pouvaient prêter serment ? L’accusation venait de confirmer la thèse selon laquelle les fonctionnaires en poste fabriquaient des situations qui découlaient d’une imagination fertile, incohérente qu’ils transmettaient à la hiérarchie, laquelle, ne prenait aucune mesure de recoupement. Et le plus grave était l’ignorance des enquêteurs du mode de vie des casamançais. Le Président Ciré Ba donna du grain à moudre à tous ceux qui soutenaient que les événements de la finale Casa-Ja avaient été commandités par l’exécutif socialiste. L’accusation était monstrueusement abjecte et dénuée de tout sens réfléchi et ne pouvait venir d’une sommité de la magistrature comme Ciré Ba. Comment un club de football de première division aurait pu servir de rampe de lancement à une lutte nationaliste sans que les responsables de la fédération ne s’en aperçoivent ? On croirait lire le script d’un film de science fiction.

Augustin Diamacoune, par la voix du Président du Tribunal venait d’être intronisé Chef du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance avant même sa comparution à la barre.

L’audition publique du prélat était attendue avec beaucoup d’intérêt : pour la première fois le peuple allait entendre la version de l’homme qui occupe la une de l’actualité nationale depuis plus d’un an, et présumé responsable de la situation en Casamance. Ceux qui l’avaient connu avant ces événements étaient curieux de voir l’accoutrement qu’il arborerait en ce jour où il devait répondre de la justice des hommes. Ils ne furent point déçus car comme à son habitude, il porta un collier de perles autour du cou et un pagne noir, œuvre de l’artisanat diola sur la soutane. Sa croix retenue par une ficelle de nervures de feuilles de palmier pendillait au milieu de sa poitrine. Son bonnet rouge à la main, il n’affichait aucune expression d’anxiété ou de peur.

Dès l’entame de son audition, Diamacoune affirme soutenir la cause indépendantiste. Il l’assumait même et reconnaît à la barre avoir écrit aux Présidents Senghor, et  Abdou Diouf chacun à la période de son magistère en toute responsabilité. Par contre il affirme n’être mêlé à aucune organisation. Pour étayer son propos, Il demanda au Président du Tribunal : « pourquoi mes lettres citées par l’accusation ne figuraient-elles pas dans le dossier. Ce qui aurait permis au tribunal, de mieux apprécier mon implication ou non ? ». Faisant dans le dilatoire, l’accusation demanda au prêtre :

 « Etes-vous l’auteur du manuscrit ayant servi à la rédaction des tracts distribués lors de la manifestation ? ». Le prélat répondit calmement en ces termes : « Oui, c’est mon manuscrit, et si le Sénégal est un pays de droit, de liberté, de démocratie, et de justice, je prie Monsieur le Président de m’accorder le temps nécessaire pour m’entendre dire ce que j’ai sur le cœur….Je n’ai jamais remis ce manuscrit à Nkrumah. Je ne dis pas non plus qu’il l’a subtilisé. De toute façon la gendarmerie s’est introduite en mon absence chez moi à Kafountine et par effraction, des effets personnels m’ont été dérobés. Quoiqu’il en soit, le manuscrit en question, est une partie du brouillon de la lettre que j’ai adressée le 12 Mai 1982 au Président Abdou Diouf. Auparavant j’en ai adressé deux presque similaires au Président Senghor, une le 25 décembre 1980 et une le 22 Avril 1981 ».

Dans ces fameuses lettres, écrites à Senghor et à Diouf, chacun en tant que Chef d’État dans la période concernée, le curé de Kafountine demandait deux choses : « la levée de la tutelle du Sénégal sur la Casamance qui selon lui n’a jamais fait partie intégrante du Sénégal et l’accession à la souveraineté de cette même Casamance, pays et nation à part entière. »

Selon l’article du journal, « le soleil », le prêtre avait fait cette précision difficilement esquivable : « Je défends quiconque de vouloir tisser arbitrairement des interférences entre mes démarches-là dont j’endosse l’entière responsabilité et les événements de Casamance du 26 Décembre 1982 ».

Rien n’y fit, le tribunal avait déjà une conviction. Diamacoune doit être condamné.

Le lendemain, 06 décembre 1983, ce fut au tour des 11 autres inculpés de répondre de l’accusation. Tour à tour, ils n’eurent aucun mal à relever le caractère fallacieux, l’impossibilité du contexte et la légèreté quant au fondement des assertions de l’accusation.

Beaucoup d’observateurs aux termes de ces deux journées d’audition sont déçus et étonnés qu’un État avec tous ses moyens ne puisse véritablement pas présenter un dossier sérieusement ficelé. Ils ravalent leurs appréhensions et attendent la suite du procès.

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